Josyane Cloutier
DANSE. Ballerine pendant 20 ans et ex-danseuse étoile des Grands ballets canadiens, la Drummondvilloise d’adoption Joëlle Henry lève le rideau sur la réalité pas toujours faite de satin rose d’une danseuse classique professionnelle.
Française d’origine, Joëlle Henry a fait ses débuts en ballet classique à l’âge de 12 ans, et se lance dans la danse professionnelle quatre ans plus tard dans une compagnie allemande. En 2000, elle déménage au Québec pour les Grands ballets canadiens, sous la direction de Gradimir Pankov.
«J’ai dansé tous les rôles que je voulais, et je suis une danseuse accomplie. Je ne regrette rien !» avoue-t-elle d’emblée. Parmi ceux-ci, on retrouve notamment le rôle de Juliette dans la fameuse pièce de Shakespeare, adaptée pour la danse classique dans les années 1930, ainsi que celui de la fée Dragée dans Casse-Noisette.
«Ça arrive souvent qu’on demande aux ballerines ce qu’elles font dans la vie, et lorsqu’elles répondent qu’elles dansent, les gens insistent pour savoir ce qu’elles font d’autre… Ben là, rien !» s’exclame Joëlle Henry avec un éclat de rire. Elle ajoute que l’horaire d’un danseur ressemble étrangement à celui d’un travailleur de bureau, excepté que les outils de travail sont des chaussons plutôt qu’un ordinateur et un stylo.
Une ballerine engagée dans les Grands ballets canadiens débutera généralement sa journée vers 9h30 par une heure à la barre. Ensuite viennent les entraînements de base, soit les sauts, les tours sur soi-même et des petits pas rapides, question de réchauffer les muscles. Le reste de la journée sera consacré à des répétitions jusqu’à 18h. Toutefois, l’intensité de l’activité physique variera en fonction du spectacle prévu : «Un ballet comme Casse-Noisette se monte en un mois et demi, et les danseurs sont brûlés puisque ce sont des répétitions sans arrêt. Quand on part en tournée, il n’y a plus de règles», témoigne l’ex-danseuse étoile.
L’entraînement est d’autant plus exigeant lorsqu’il s’agit d’un rôle principal. Lorsqu’elle répétait pour le rôle de Juliette, Joëlle Henry raconte que simplement se lever le matin relevait de l’exploit. «Je revenais chez moi les jambes pleines de bleus, et le lendemain je sortais de mon lit en boitant. J’étais à peine capable de marcher, je me rendais à pas de fourmi jusqu’à la salle de bain, tout en sachant que j’avais une journée complète de répétitions devant moi.» Son remède miracle ? Une crème allemande à base de venin d’abeille, qui chauffait tellement le muscle où elle était étendue qu’elle lui permettait de passer à travers sa journée.
Un mode de vie strict
Entre les répétitions et les spectacles, les danseurs n’ont que très peu de temps pour se restaurer et faire le plein d’énergie. Viennent alors les solutions faciles et les plus rapides possible. «Selon moi, les personnes qui s’alimentent le plus mal sont les danseurs. Ils fonctionnent au sucre : des barres tendres, du chocolat, et tout ce qui est de l’énergie rapide», explique Joëlle Henry. Ils ne s’alimentent que très peu, étant soumis à la contrainte du corps très mince.
Chaque gramme est effectivement important pour un danseur. Une prise de poids aussi minime que 400 grammes peut influencer la façon dont celui-ci va tourner sur lui-même. «Je savais que, quand j’avais pris un peu de poids, mon équilibre allait changer. Plus la ballerine est légère, plus c’est facile pour elle de tourner, de sauter et moins c’est difficile pour ses articulations de suivre le rythme», dévoile Joëlle Henry.
Les blessures sont fréquentes dans le métier : foulures, fractures, problèmes de sommeil, luxations… Malheureusement, la ballerine n’y fait pas exception. «J’étais très souple. Je pouvais monter mes jambes derrière mes oreilles debout sans problème. Ça a ses avantages, mais ses inconvénients aussi : mes articulations sont devenues lâches.»
Le pire finit par arriver : en 2004, la danseuse étoile subit une grave luxation de l’épaule en pleine représentation de Casse-Noisettes. «J’ai continué avec un bras, j’ai fini le spectacle. Tant que le bras était chaud, ça allait. Après, ça a été une autre histoire», témoigne-t-elle avec un sourire triste.
Cet épisode met fin à sa carrière de ballerine. «J’ai vécu mon deuil deux ans après, en regardant un film avec de la danse. Je me suis mise à pleurer sans pouvoir m’arrêter, j’ai pleuré pendant tout le film. Là, j’ai compris», se remémore-t-elle.
Les danseurs, pauvres comme Job
Un milieu difficile, celui de la danse professionnelle. En effet, selon Statistiques Canada, 67,9 % des danseurs ne l’étaient qu’à temps partiel en 2011, devant occuper un autre emploi en même temps pour subvenir à leurs besoins. Leur salaire fonctionnant essentiellement par cachet, il n’y a donc aucune sécurité d’emploi ni de compensations en cas de chômage.
«Ça ne paye pas beaucoup, ce n’est pas comme une carrière de joueur de hockey. Le danseur va probablement se blesser, et les répétitions quotidiennes vont user son corps plus rapidement… Pourtant, il ne sera jamais rémunéré en conséquence», déplore Joëlle Henry d’un air d’impuissance.
La compétition est féroce, et les danseurs doivent également composer avec une immense pression de la part de leurs partenaires. «Les coulisses du ballet ne sont pas aussi roses qu’on l’imagine. Il y a la rivalité, la jalousie, les injustices… J’ai été très mal vue par mes compatriotes lorsque j’ai commencé à danser en Allemagne. J’étais plus jeune et assez douée, donc on me voyait comme un danger»,
Pourquoi avoir décidé de continuer quand même, malgré les blessures et les sacrifices ? «La passion, simplement. Quoi de plus beau que de monter sur scène, de danser pour un public et de leur faire oublier les petits tracas ? Sur la scène, j’étais à la maison», expose l’athlète avec des étincelles dans le regard.
À lire également : Des disciplines nouveau genre au studio de la Barre